La chapelle Saint-Roch de Grimaud recèle un trésor caché qui mérite d’être découvert
Février 2019 • par Gérard ROCCHIA, historien local
De toutes les chapelles disséminées sur notre territoire varois, il en est une qui occupe peut-être la plus petite surface, mais qui cache en son cœur un grand trésor : la chapelle Saint-Roch de Grimaud. Blottie au fond du golfe de Saint-Tropez depuis le XVIIe siècle, elle est consacrée depuis à ce grand saint guérisseur de la peste. Personnage particulièrement vénéré en Provence, il est généralement représenté en pèlerin avec, à ses pieds, un chien tenant dans sa gueule un morceau de pain.
Né à Montpellier vers 1350, il est le fils de Jehan et Libérine, un couple de notables terriens, déjà âgés à sa naissance, qui le laissent très tôt orphelin et riche héritier. Si son oncle paternel est seigneur de Montpellier et son grand-père maternel un riche seigneur italien, le jeune Roch choisit très tôt la voie qu’il veut suivre. Après avoir probablement fréquenté les cours de médecine dans la célèbre université de sa ville, il décide de distribuer sa fortune aux pauvres et part, comme simple pèlerin, vers Rome, capitale de la chrétienté.
Il traverse une Italie ravagée par une terrible épidémie de peste noire qui décime les populations. Armé de ses connaissances acquises à Montpellier, il n’hésite pas, faisant fi des risques encourus, d’aller au contact des malades. La providence veille et lui permet d’arriver dans la ville sacrée, elle-même malmenée par le terrible fléau. Il y passe trois années au service des malades dans un hôpital ; puis il décide de repartir vers sa ville natale. En passant vers Plaisance, il contracte la maladie et pour éviter de la propager à son tour, il s’enfonce dans une forêt pour attendre l’issue fatale.
Le destin s’en mêle par l’intermédiaire d’un chien qui le découvre dans sa cachette. L’animal, d’instinct, comprend la situation et revient chaque jour vers lui avec un morceau de pain dans la gueule. Son propriétaire, le seigneur Gothard Palastrelli, intrigué par le manège de son animal, décide de le suivre. Lui, qui s’était isolé dans sa riche propriété pour ne pas être contaminé, ne va pas hésiter à soigner cet inconnu avec lequel il va se lier d’une profonde amitié, jusqu’à renoncer à son statut et prendre à son tour le bâton de pèlerin.
Guéri grâce à son nouvel ami, le futur saint Roch va reprendre la route dans le plus grand anonymat. Alors qu’il arrive dans les environs de Voghera en Lombardie, en guerre contre la papauté, il est arrêté comme espion et déféré devant le gouverneur qui n’est autre que son grand-père maternel. Voulant rester pauvre parmi les pauvres, il refuse de décliner son identité qui pourtant le sauverait. Jeté dans un cachot du château, il y croupit cinq longues années avant d’être reconnu, quelques heures avant sa mort, par sa grand-mère grâce à une tâche de vin en forme de croix rouge qui il avait à la naissance.
Très tôt, le jeune homme est considéré par la vox populi comme un saint. Le pape Grégoire XIII l’introduit dans le martyrologue de l’église romaine et lui consacre le 16 août1 alors qu’Urbain VIII approuvera solennellement son culte le 26 octobre 1629.
Enfin, Venise en fera son saint protecteur en volant ses reliques en 1485 et construira un riche sanctuaire sur le Campo San Rocco.
Si la ferveur de la population fut intense jusqu’au XIXe siècle, l’époque contemporaine, débarrassée pense-t-elle de ce terrible fléau, semble l’avoir quelque peu oublié et c’est là que la vieille chapelle grimaudoise dediée à son culte est intéressante. Timidement cachée au bout de la rangée de cyprès conduisant au cimetière, elle est très peu remarquée par les nombreux touristes quittant le parking voisin pour la visite du vieux village. Seuls quelques curieux ou avertis jettent un regard furtif par la petite porte vitrée qui offre, malgré l’absence de lumière (il faut actionner un minuteur placé à l’extérieur dans l’encadrement de la porte pour activer l’éclairage de la pièce), une vue tronquée sur une grande fresque murale qui couvre la superficie totale des murs de mi-hauteur au plafond. Mais que représente cette œuvre picturale et qui en est l’auteur ? Il faut aller vers Véronique Siffredi, membre de l’équipe du service patrimoine de la ville, dirigé par Eric Vieux, pour avoir la réponse. Avec une curiosité toute professionnelle, Véronique a percé le mystère et donné un nom à l’artiste2 ainsi qu’une explication au décor.
De 1930 à 1936 se crée un collectif de peintres lyonnais, connu sous le courant « Les nouveaux », continuité des « Zinniars » (probablement d’une première orthographe » les z’ignares « ). Ils se distinguaient entre eux sous le surnom de « compagnon de la baleine ». Parmi ces artistes, figure une jeune femme du nom d’Andrée Gavens, auteure de cette œuvre magistrale qui représente en quatorze panneaux la vie de saint Roch depuis sa naissance jusqu’à sa mort, son parcours de pèlerin guérisseur à son tour touché par la maladie et sa rencontre avec le chien devenu son compagnon pour l’éternité. Pourquoi l’artiste a-t-elle décidé, en 1937, de créer cette bande dessinée moderne en omettant d’y apposer sa signature ? Peut-être était-elle amoureuse de notre région où elle aimait rencontrer son ami Dunoyer de Segonzac ? Peut-être s’agit-il d’une commande par un mécène ? Le mystère demeure, mais l’œuvre interroge et mérite une plus grande publicité, d’autant plus que les années et les fuites dans la maçonnerie commencent à la dégrader sérieusement.
Quoi qu’il en soit, j’invite toutes les personnes curieuses de cet art religieux mi naïf mi figuratif à jeter un regard attentif à cette chapelle. Ils pourront en profiter pour admirer la pierre d’autel médiévale en basalte reposant sur une pierre à dépiquer de récupération autrefois utilisée pour séparer les grains de l’épi.
(1) Un vieux dicton, cher aux trufficulteurs, dit » Quand il pleut à la Saint-Roch (16 août), les truffes viennent sur le roc « .
(2) À l’occasion d’une demande de bourse à la Casa Velazquez (Madrid), Madame Andrée Chevrillon (née Gavens), mentionne qu’elle a décoré une chapelle à Grimaud. Cela nous permet d’avoir un nom et un prénom précis de l’auteur de ces peintures.
Ainsi, Andrée Chevrillon, née à Grigny (Rhône) en 1909, a passé une partie de sa vie à Lyon où elle a fait l’école des Beaux Arts, puis est entrée dans un mouvement appelé « Les Nouveaux ». Elle a travaillé sous la direction d’Andrée Dunoyer de Segonsac. Sachant que ce dernier a vécu à Saint-Tropez et a réalisé de nombreuses œuvres sur l’ensemble du golfe, dont Grimaud, son élève a très bien pu peindre ces fresques dans la chapelle Saint-Roch.
Elle a aussi peint à Avon, dans la chapelle du collège des Carmes, dans une chapelle près de Barcelonne (encore non identifiée à ce jour) ; et, dans l’église paroissiale de Saix (Vienne), elle y peint la vie de sainte Radegonde et à Port Blanc elle réalise aussi un décor peint. Elle s’est spécialisée dans l’étude des fresques catalanes.
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