Le lierre
Septembre 2016 • par René Celse, apiculteur naturaliste aux Bas Oliviers
C’est l’histoire d’une plante rampante aux belles feuilles vert sombre joliment découpées en cinq lobes triangulaires. Elle rêve d’être un arbre mais elle n’a pas de tronc. Dans le sous-bois frais où elle tapisse le sol, elle entrevoit la lumière entre les feuilles du chêne et la lumière l’attire. Le tronc du chêne est là, elle s’élance. Sur ses tiges fines où poussaient des racines adventives, des crampons apparaissent. Elle s’insinue dans les fissures de l’écorce, s’étire, enlace le tronc. Sa décision est irréversible, l’ascension se poursuit d’années en années, sa tige solidement fixée à l’arbre grossit, enfin elle atteint la canopée.
En plein jour, éblouie, ses feuilles se transforment et perdent leur belle découpure. Libérées du sol et de leur support elles sont maintenant entières, ovales et pointues à leur extrémité. Enfin, un beau jour à la fin du mois d’août, à l’extrémité de ses rameaux fous, de curieux bourgeons apparaissent qui donneront des fleurs quelques semaines plus tard. La réussite est absolue : ses fleurs disposées en petites ombelles sphériques attirent une multitude d’insectes. Pollen et nectar abondent. De cette rencontre bourdonnante naitront les fruits…
Le lierre est « hétérophylle », c’est-à-dire qu’il présente deux types de feuilles différentes, ce que l’on voit sur cette planche d’herbier. Le voir pousser sur les murs n’est pas toujours de bon augure pour la construction : ses tiges s’insinuent entre les pierres, sous les crépis et les toitures. Mais sur les vieux murs de pierre ou le lierre a été préservé ou toléré, il arrive que ce soit lui qui assure la cohésion entre les pierres et qui tienne le mur debout !
Les forestiers ont longtemps considéré le lierre comme indésirable, on l’a même appelé « bourreau des arbres ». Or, le lierre n’est pas un parasite : il ne développe pas de suçoir à la façon du gui et ne se nourrit pas de la sève de l’arbre qui ne joue qu’un rôle de support.
On s’accorde aujourd’hui à reconnaitre au contraire son rôle positif dans l’écosystème forestier.
Il participe à la biodiversité à plusieurs stades de son développement : c’est une manne phénoménale pour une quantité d’insectes butineurs. Son importance tient autant de ses qualités mellifères que du fait qu’il s’agit d’une espèce commune dans toute la France et donc abondante.
Les insectes fréquemment observés sont des mouches de la famille des Syrphidae, dont plusieurs espèces sont mimétiques de l’abeille domestique comme des Eristales, des Abeilles sauvages dont une espèce est strictement inféodée au lierre (Colletes hederae), mais aussi des guêpes, des punaises, des papillons et bien sûr l’abeille domestique elle-même (Apis mellifera). On observe aussi sur le lierre des frelons (Vespa crabro), surtout attirés par la présence des abeilles qu’ils capturent pour nourrir leurs larves, à la façon du tristement célèbre frelon asiatique.
Il joue donc un rôle de premier plan à l’automne, en particulier pour les abeilles domestiques qui y trouvent un pollen d’un beau jaune doré, apport de protéines dans la ruche favorable à l’élevage du couvain d’automne, mais également un nectar assez fortement parfumé qui leur permet la production de miel.
Du miel de lierre ?
Si les conditions sont favorables (automne chaud et humide), les abeilles peuvent ramener à la ruche de grandes quantités de nectar et élaborer du miel. Apparaissant en fin de saison, il est généralement laissé aux abeilles comme provision d’hiver. Il y a une autre raison pour ne pas récolter ce miel : il a la fâcheuse propriété de cristalliser très rapidement dans les cadres des ruches où il prend l’allure de sucre cristallisé et ne peut pas être facilement extrait.
Dans le cas où l’apiculteur téméraire récolte un peu de ce miel, on découvre un miel gris jaunâtre clair, à cristallisation fine et à l’arôme rappelant l’odeur des fleurs, une rareté que peu de gens ont eu la chance de découvrir !
Les fruits du lierre
Des fleurs à l’automne, des fruits en hiver et au début du printemps cela représente un cycle opposé à la majorité des arbustes et des fruitiers des climats tempérés : le lierre offre ses fruits à une saison où ils sont rares. C’est une chance exceptionnelle pour les grives et autres passereaux qui viendront s’en nourrir et dissémineront dans leurs fientes les graines longuement préparées par la plante. Le lierre sera ainsi disposé au pied des murs, des falaises, dans d’autres sous-bois, au pied d’un nouveau chêne où l’espoir d’ascension va se perpétuer.
Voir aussi Le lierre des poètes.