L’eau (partie 2/2)
Août 2019 • par Elisabeth SAUZE, archiviste paléographe
(Pour lire la première partie de cet article, cliquer ici)
Les multiples petits cours d’eau qui descendent des collines sont aujourd’hui communément désignés par les mots français ruisseau, torrent, ravin, vallon. Le provençal a d’abord utilisé le mot riu issu directement du latin rivus = ruisseau. Ce terme n’a survécu que sous la forme dérivée rièu ou riou, mais on le trouve dans la composition de deux noms :
– Refren (Grimaud, Rivum Frigidum en 1058, Riffren en 1401) = « ruisseau froid », ancien nom de la rivière aujourd’hui appelée de la Garde, resté attaché au quartier de la Garde-Freinet où se trouve sa source ;
– Reclarel (Grimaud, rivo de Clareto en 1058, Rieuclarel en 1445) = « ruisseau clair », ancien nom du ruisseau de l’Avelan.
Signalons encore que ce n’est pas le cours d’eau, mais sa rive (ancien provençal rebiera) que signale au Plan-de-la-Tour le toponyme la Rivière (la Ribière en 1566).
Le provençal rial/ riau, issu du bas-latin riale est le terme le plus usité jusqu’à la fin du Moyen-âge. Il n’est plus compris aujourd’hui, mais se rencontre abondamment en composition avec un adjectif :
– le Grand Rial (Ramatuelle, 1680), aujourd’hui le Gros Valat ;
– Rial Aigous (Grimaud, 1637) = « ruisseau qui a beaucoup d’eau » ;
– Rialgros (Grimaud, 1445).
Avec un déterminant :
– Real de Gassin (Gassin, Saint-Tropez, al Rial de Gassin en 1516) sert de limite entre les deux communes ;
– Real des Masques (Cavalaire, lo Rial de las Mascas en 1516) ;
– Rial d’Aubert (Ramatuelle, 1680) ;
– Rial de la Ville (Ramatuelle, Rivo Ville en 1447) ;
– Rial de Traille (La Garde-Freinet, 1588), rebaptisé ruisseau des Neuf-Riaux ;
– Riau de Jauffret (Ramatuelle, 1548).
Avec un nom de quartier, la liste longue de 32 noms n’a d’autre intérêt que d’attester l’usage prolongé du mot rial jusqu’au XVIIe s.
Au pluriel :
– Les Neuf-Riaux (La Garde-Freinet, 1613) a d’abord désigné une série de confluences rapprochées avant de s’étendre à l’ensemble du cours du torrent précédemment appelé Rial de Traille.
Le diminutif rialet :
– le Rialet (Cogolin, Rialeto en 1433) ;
– le Rialet (Gassin, lo Rialet en 1516).
Le dérivé avec le suffixe augmentatif -alha :
– la Riallaye (Ramatuelle, la Riallalhe en 1548).
On ne trouve plus trace, dans le corpus local, de l’ancien provençal rai au sens de « jet ou filet d’eau ». En revanche, plusieurs de ses dérivés ont laissé des traces.
L’augmentatif raias = « gros ruisseau » :
– Rayas (La Môle, le Rayas du Chasteau en 1676) ;
– Rayas Bouissière (La Môle, 1808) ;
– le Regond du Raias (Plan-de-la-Tour, 1715).
Le diminutif raiet :
– le Rayet (La Garde-Freinet 1613).
Le diminutif raiol :
– le Raiol (La Garde-Freinet, 1613) ;
– le Rayol (Cogolin, 1641) ;
– le Rayol (Rayol-Canadel, 1756) ;
– le Rayol (Sainte-Maxime, 1665) ;
– Rayou (Cavalaire, 1516).
Le provençal rego = raie, rigole et son diminutif regoun, accompagnés d’un déterminant (nom de lieu ou nom de propriétaire) ont servi à dénommer un grand nombre de petits ruisseaux.
Spécifique de la côte varoise4, le mot garouno, homonyme et de même origine prélatine que le nom du fleuve aquitain Garonne, a subsisté jusqu’au XIXe siècle, appliqué aux estuaires des petits fleuves côtiers, aux étangs et aux canaux de drainage des zones palustres du littoral. On trouve ainsi appelée la partie inférieure du cours de la Giscle, les deux bras de son delta et les étangs du fond du golfe (Grimaud, 1405), la zone littorale entre les embouchures du Gros Valat et de Loumède (Ramatuelle, 1405), le quartier, jadis marécageux, situé entre la gare actuelle et la chapelle de l’Annonciade (Saint-Tropez, 1471), l’embouchure du rial de Gassin (Saint-Tropez, 1055). Le diminutif Garonnette (Sainte-Maxime, 1046/1066) est resté attaché au petit fleuve qui sert de limite entre les communes de Sainte-Maxime et de Saint-Aygulf.
Les lits des torrents, creusés dans le rocher, font alterner cascades et cuvettes. Ces dernières, où l’eau séjourne l’été quand le courant s’est tari, ont suscité de nombreuses formations toponymiques à partir du mot gorc, de même racine que le français gorge :
– Gornegros (La Môle, Gournegron en 1714) le qualifie de noir ou sombre ;
– Gorredon (La Môle, Gorc Redon en 1192) le voit rond ;
– lo Gorc de l’Oleta (Gassin, 1446), le Gour de l’Oule (La Garde-Freinet, 1613), le Gourq de la Toupine (La Garde-Freinet, 1715) le comparent à une marmite (provençal oulo) ou à une jarre (provençal toupino) ;
– le Gros Gourc (Grimaud, 1637) est l’équivalent de l’augmentatif suivant ;
– le Gorgas de Sant Andrieu (Ramatuelle, 1548) et le Gourgas de Vivard (Ramatuelle, 1680). ;
– une douzaine d’autres composés combinent le mot avec un nom de lieu ou de personne.
En plaine on trouve évoqué un méandre sur le ruisseau du Bourrian, le Revau (Gassin, 1691) et plusieurs confluents :
– les Ajustes (La Môle, 1808), confluent des rivières de la Môle et de la Verne, du provençal ajust = addition, réunion ;
– les Ajusts (Grimaud/ Cogolin, 1698) confluent de la Giscle et la Môle, auparavant appelé las Jounches (Junchas en 1405), du provençal joncha = jonction ;
– les Ajusts de Vaucaude (Grimaud, 1935, confluent de la Giscle et du ruisseau de Gagnal).
L’ancien provençal fos, issu du latin faux = fossé, employé pour désigner l’embouchure de la Giscle, a donné son nom au quartier de la Foux (Grimaud/ Cogolin, 1637).
Les toponymes qui décrivent des pièces d’eau sont tous sortis de l’usage en même temps que disparaissaient les objets – bas-fonds inondables plutôt que bassins permanents – qui les ont motivés :
– le Lac (Cogolin, 1428) ;
– l’Estang des Salins (Saint-Tropez, 1710), ancien marais salant exploité au Moyen-âge, aujourd’hui simple marécage ;
– l’Estanh (Gassin, Stagnum en 1402) ;
– l’Estanh Foran (Saint-Tropez, 1471) avec l’adjectif foran = éloigné ;
– Prat Stanh (Grimud, 1445) ;
– l’Estagnet (Plan-de-la-Tour, 1566), rebaptisé le Lac en 1715 ;
– l’Estagnet (Saint-Tropez, 1607) ;
– Prat-Lestagnols (Plan-de-la-Tour, le Prat Estagnol, 1613) qualifiait un pré inondable ;
– Estagnoulet (Grimaud, 1637).
Une grande variété de termes signale en revanche les zones marécageuses, dont le plus fréquent est le provençal mouliero = terrain mou, prairie humide :
– la Moulière (La Garde-Freinet, 1715) ;
– les Moulières (La Garde-Freinet, 1715 ; Gassin, las Molerias en 1516 ; Grimaud, Mollerias en 1402 ; Plan-de-la-Tour, 1566) ;
– la Moulière Longue (La Garde-Freinet, 1715) ; Moulières Longues (Sainte-Maxime, 1815), avec l’adjectif longo = lointaine ;
– les Mouliérettes (La Garde-Freinet, ley Mouleirettes en 1613).
Formé sur le même radical que mouliero, l’ancien provençal moulestre = fondrière, bourbier apparaît dans 8 composés avec des noms de lieu ou de personne.
Le provençal suei = bourbier, cloaque, a servi à dénommer :
– le Suel (Plan-de-la-Tour, le Sueilh en 1613) et le Suy (Saint-Maxime, XVIIIe s.) ;
– le Soleil de Baude (Grimaud, 1637) résulte d’une mauvaise compréhension du même terme.
Notons encore :
– les Boudousquières (Grimaud, 1637), du provençal boudousco = bourbe ;
– la Boudrière (Saint-Tropez, XVIIIe s.), du provençal boudriero = fange ;
– Butégal (Ramatuelle, Bautugatum en 1403), du provençal bautugat = souillé ;
– la rue du Gacharel (Grimaud, Gacarella en 1175) et la Gacharelle (Sainte-Maxime, 1566), du provençal gacha = gâcher, patauger ;
– Lima (Ramatuelle, Limam en 1404), du provençal limo = limon, vase ;
– Mourteires (Cogolin/ Gassin, Mortayret en 1443), dérivé de mortier = boue ;
– les Négadisses (Saint-Tropez, 1471), pluriel de negadis = terrain inondable.
Elisabeth SAUZE
(4) Mais aussi conservé localement en Vaucluse avec le sens de » canal d’assèchement « .