L’eau (partie 1/2)

Juin 2019 • par Elisabeth SAUZE, archiviste paléographe

Le coin des toponymistesEau

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On ne prête pas assez d’attention aux noms de lieu. Loin d’être de simples étiquettes plus ou moins folklorisantes que la mode et la politique se croient autorisés à modifier à leur gré, ils racontent le dialogue jadis établi entre l’homme et son environnement naturel, l’histoire des humbles, des paysans qui ont façonné les paysages que nous admiront et nourri les générations dont nous sommes issus. Ils constituent, au même titre que les monuments matériels, un patrimoine ancien et précieux, dont il serait d’autant plus absurde de nous priver que sa préservation ne coûte qu’un peu de respect.

Le recueil qui suit n’est sans doute pas absolument complet. Les sources écrites (cadastres, actes notariés) et orales (témoignages de vignerons, chasseurs et bergers) sollicitées ont leurs limites et le chercheur trouvera sans peine quelques éléments qui m’ont échappé. Les toponymes ont été enregistrés sous leur forme actuelle ou, pour ceux qui ont disparu, la plus proche de nous dans le temps. Par souci de simplification et d’économie, les autres formes recueillies, souvent très nombreuses, ont été réduites à la plus ancienne. La présentation adoptée obéit à un classement thématique qui met en valeur l’inégale importance des facteurs naturels et humains dans la perception et l’utilisation de l’espace. Un index final permettra de retrouver tous les noms par ordre alphabétique.

Climatiquement et géographiquement isolé, le massif des Maures possède un réseau hydrographique indépendant, c’est-à-dire qu’il n’est pas, comme le reste de la Provence, alimenté par les Alpes. La nature rocheuse du sous-sol ne permet pas l’accumulation de masses d’eau importantes et les sources, si nombreuses dans les collines, ne sont pas assez abondantes pour alimenter les rivières qui, chaque été, tarissent. La violence des précipitations ne compense pas leur faible fréquence, la plupart des petits vallons qui sillonnent les hauteurs ne sont en fait que des rigoles d’écoulement des eaux pluviales. De tout cela il résulte que l’eau a toujours constitué une denrée précieuse et recherchée et qu’elle tient dans la toponymie locale une place à la mesure du rôle qu’elle jouait dans la perception de l’espace et de ses ressources.


L’eau elle-même, provençal aigo, apparaît dans quatre composés :
– Aiguebonne, nom donné à trois petits vallons du littoral où les marins devaient venir s’approvisionner (Cavalaire, Aygua Bona en 1516 ; Grimaud, Aygo Bona en 1445 ; Croix-Valmer, XVIIIe s.) ;
– Eau Blanche, dont la couleur vient probablement de l’écume formée par des cascades (Cavalaire, Egua Blanco en 1516 ; La Môle, Ega Blanca en 1223) ;
– Aïgo-Puto, qui qualifie une zone marécageuse (Grimaud, Aqua Putida en 1035) ;
– Entre-Aigues, nom d’un moulin bâti entre un ruisseau et un canal de dérivation (La Garde-Freinet, 1715).

Les eaux vives se font remarquer par leur bouillonnement :
– Bougnon (Sainte-Maxime, Bugnone en 1046/1066) et son affluent Bouillonnet (Sainte-Maxime, Bougnonet en 1566) perpétuent peut-être un appellatif prélatin *bunia1 = source , à moins qu’ils ne dérivent du radical du provençal bougno = bosse, renflement ;
– lou Bourboutéou (La Garde-Freinet, 1613), dérivé du verbe bourbouta = bouillonner ;
– Giscle2 , (Giscla en 1174, du provençal giscla = gicler), décrit bien le principal cours d’eau du Freinet et le seul à ne jamais tarir complètement, qui irrigue et sépare les communes de Grimaud et de Cogolin ;
– le Bouillidou (La Garde-Freinet, 1815) et la Pissade (Plan-de-la-Tour 1566) qualifient des cascades ;
et par leur bruit :
– la Fontène de Greore (La Garde-Freinet, 1715), du substantif gréule = râle ;
– Marmonille (Grimaud, Mormonilha en 1405), dérivé du latin murmurillare = murmurer ;
– le Rangorier (La Garde-Freinet, 1715), du verbe rangoula = respirer bruyamment, gronder ;
– le Rauch (Plan-de-la-Tour, 1613) de l’adjectif rau = rauque, enroué.

Les sources, aménagées ou non, répondent universellement à l’appellatif font souvent traduit, à partir du XVIIIe s., par le français fontaine3 :
– la Font, au singulier et sans déterminant, a été appliqué au principal point d’approvisionnement d’un village (Cogolin, 1434 ; Croix-Valmer, 1763 ; La Garde-Freinet, 1613 ; Ramatuelle, 1680 ) ou d’un quartier rural (Grimaud, 1753) ;
– las Fonts (Saint-Tropez, 1471) et Tresfont (La Garde-Freinet, 1613) signalent des fonds de vallon riches en sources.
Avec un adverbe de situation, Ramatuelle a ainsi la Fontaine d’Aut (1680, sur l’actuelle place de l’Ormeau) = fontaine d’en haut et la Fontaine d’Aval (= d’en bas, Font d’Abas en 1680) = fontaine d’en bas, sous le village.
Avec un adjectif :
– Bonne Fontaine (Gassin, la Bona Font en 1516) ;
– la Foent Berloue (Plan-de-la-Tour, 1613) où croit la berle (faux cresson) ;
– Foent Freie (La Garde-Freinet, 1715) aux eaux froides ;
– la Fons Couverte, captée et abritée sous une voûte en maçonnerie (Gassin, Fontem Cubertam en 1446 ; Grimaud, Fontem Coorpertum, 1175 ; Cogolin, Fontem Copertam en 1436) ;
– Font Vieille (Cogolin, 1641) ;
– Foulade (Rayol-Canadel, Fontlade en 1714) = font large.
Avec un déterminant, nom de lieu ou nom de personne, le mot compte encore une soixantaine d’occurrences.
Les diminutifs, en revanche, sont peu nombreux :
– la Fountoune (Croix-Valmer, 1691) et les Fountounes (Grimaud, 1637) ;
– la Fontanette (Saint-Tropez, la Fontayneta v. 1500).

Elisabeth SAUZE

1) Cf. P. Lebel, Principes et méthodes d’hydronymie française, $ 10, 161, 303, 613 a trouvé ce mot en Dauphiné.
(2) L’article est une addition récente dûe à l’influence du français.
(3) Le français source n’apparaît qu’une seule fois dans un composé très récent, Bonne Source (Saint-Tropez, 1934).

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