Les épidémies dans le golfe de Saint-Tropez (2/3)
Septembre 2021 • par Bernard ROMAGNAN, vice-président du Conservatoire
Lire la première partie : Les épidémies dans le golfe de Saint-Tropez (1/3)
En dehors des pandémies évoquées des VIe-VIIIe siècles et de la Peste noire du milieu du XIVe, il faut bien avoir à l’esprit que la menace était permanente. Dans le golfe de Saint-Tropez, entre 1550 et 1650, on relève 12 alertes, soit une moyenne d’une peste tous les 8 ans. A côté de l’expression imprécise « Il y a quelques bruits du mal contagieux », on apprend que l’épidémie vient du Languedoc en 1557, de Montagnac en 1564, du Luc et de Lorgues en 1596, d’Aups en 1587 et de Marseille en 1649. Le conseil de la communauté nommait chaque année un ou plusieurs subrestants, mot provençal pour intendants de santé. Leur rôle consistait au contrôle de tous ceux qui entraient dans la ville à pied ou par mer. Ils délivraient les billets de santé, documents qui attestaient de la non contagion de son possesseur et indispensables pour pouvoir se déplacer. Ils vérifiaient également la validité des billets des personnes ou bateaux qui venaient à St-Tropez. Ils fixaient le lieu et la durée de l’éventuelle quarantaine. C’était bien sûr, des hommes d’expérience, généralement capitaines de navires qui avaient beaucoup appris de leurs voyages dans l’Empire Ottoman. Dans les situations de crise, les Tropéziens en nommèrent jusqu’à une douzaine ou plus.
Cette pratique a perduré au moins jusqu’au début du XIXe siècle. Le danger épidémique était une information qui parvenait aux Tropéziens par les bateaux et marins qui accostaient dans le port ou par des messagers à pied. Un fois alertés, les consuls organisaient la protection de Saint-Tropez, mais aussi de l’ensemble des communautés du Freinet, c’est-à-dire, approximativement le territoire actuel de la communauté de communes du golfe de Saint-Tropez. Ensuite, on établissait des gardes aux portes des villes lorsque les habitations se trouvaient à l’intérieur d’une enceinte comme à Saint-Tropez au XVIe siècle, ou à Ramatuelle et Gassin. Dans ce cas, on demandait expressément aux habitants de fermer avec des grillages ou à chaux et sable, les « fenestrages », les portes, les androunos, mot provençal pour ruelles, et les brèches donnant sur la mer ou l’extérieur. Lorsque l’habitat s’étalait dans les faubourgs, on barricadait les voies d’accès avec des planches, des pieux, des pilotins. On n’hésitait pas à y mettre des « épines », c’est-à-dire des buissons piquants ramassés par des femmes à Saint-Tropez en 1720. On installait des postes de garde avec des bureaux de santé. On diligentait des guetteurs sur les sites de hauteurs : cap Camarat, cap Taillat, colline du Castellas à Ramatuelle, Sainte-Anne, cap saint-Pierre ou colline des moulins à Saint-Tropez. On surveillait aussi les plages à Cavalaire et aux Canebiers. En périodes particulièrement difficiles, ces gardes étaient assurées par mando, mot provençal pour corvée, et ceux qui refusaient d’y participer devaient payer une lourde amende. Mais ces guetteurs étaient le plus souvent rémunérés mensuellement ou, après une enchère au mieux disant. Les personnes qui contrevenaient à ces contrôles, qui entraient sans billets de santé ou subrepticement à la faveur de la nuit, étaient soumis à une amende de 10 écus, somme rondelette aux XVIe et XVIIe siècles. La punition pouvait être encore plus sévère : en 1590, le bateau de Louis Mondou fut brûlé car ce marin avait franchi les barricades la nuit avec son fils.
Puis, les communautés s’organisaient pour assurer la subsistance de la population en période de quarantaine. Achats « d’aliments de nourriture », blé et farine. A Saint-Tropez en 1629, le capitaine Caussemille, premier consul, informa le conseil du « souci de farine à cause du soubson de contagion ». Il n’y avait pas assez de moulins « en ce lieu quy est grandement puplé », ce qui était cause « d’ung grand désordre et émoutions populères ». Heureusement un certain Jean-Honoré Sauvayre s’engagea à fournir rapidement 100 charges de blé. À cette occasion, on donna aussi 3 tonneaux de vin aux capucins établis depuis 1617 dans la cité, « pour leur besoin en cas de contagion ». À La Garde-Freinet, en 1720, la communauté fit strictement contrôler le troupeau de la boucherie communale composé de chèvres et menons, c’est-à-dire boucs châtrés, pour être assuré d’en disposer suffisamment pendant cette période épidémique.
Les consuls prévoyaient également l’achat de médicaments. En 1580, les Tropéziens allèrent se fournir à Aix et Avignon. En 1720, les Gardois achetèrent à Toulon et Draguignan les drogues utiles pour « donner les parfums en suivant les règles données par lettre du sieur Boissière appoticaire de Toulon ». Enfin les intendants de santé et les gardes, avaient l’ordre de chasser tous les indésirables : vagabonds, gens sans aveux, étrangers. Exceptionnellement en 1616, les mendiants ont bénéficié de 2 sous de pain « pour faire leur chemin ».
Il ne faut pas penser que ces épisodes contagieux étaient ponctuels. La menace était permanente et pouvait durer des mois sinon des années. Le contrôle et la mise en quarantaine de bateaux venant de lieux soupçonnés de contagion, particulièrement de Barbarie et de l’Empire Ottoman, était régulier même en période calme. Mais on peut affirmer que les Tropéziens, grâce à leur expérience et leur vigilance, ont su protéger de la peste non seulement leur cité mais aussi les terroirs avoisinants. Par contre, à cause des limites de connaissances médicales de leur temps, ils n’ont pu échapper aux nombreuses autres maladies virales : grippes, varioles, dysenteries, pour lesquelles ils étaient totalement désarmés.
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