L’histoire controversée des reliques de saint Tropez

Janvier 2018 • par Gérard ROCCHIA, historien local

Chronique historiqueHistoire locale

Le nom de Saint-Tropez est connu dans le monde entier et pourtant très peu de gens, sinon les initiés, en connaissent la vraie histoire. Le petit village de pêcheurs blotti au fond du golfe éponyme en est le symbole le plus marquant, mais combien de Tropéziens savent qu’il existe un autre lieu en Europe, plus exactement au Portugal, qui revendique une partie de son histoire ? Mais quelle est-elle ? Probablement un mélange de fondement historique et de légende.

Nous sommes en l’an 68 de notre ère, à la fin du règne de l’empereur Néron. Le 24 avril, ce dernier arrive à Pise (Italie) pour inaugurer un temple dédié à Diane, déesse de la chasse. Comme à l’accoutumée, il demande à être reconnu Dieu et César mais, à la stupeur générale, une voix s’élève pour nier toute divinité impériale et parler d’un Dieu unique. L’étonnement est d’autant plus grand que la personne qui vient de s’exprimer n’est autre que le chevalier Caïus Sylvus Torpes, chef du palais et de la garde impériale de Pise, ami personnel de Néron. L’affront ne peut rester impuni et seule la mort peut laver l’honneur impérial ainsi bafoué. Que le supplice commence ! Jeté en pâture aux lions, ces derniers se couchent à ses pieds. C’est finalement le tranchant bien affuté d’une lame sur le cou du nouveau martyr qui mettra fin à l’épisode.

Pourtant, cette histoire va avoir un rebondissement inattendu. Pour éviter que le corps ne soit récupéré par ses amis, il va être placé sur une barque que l’on va soumettre aux colères et aux courants de la mer. Un coq et un chien seront du voyage, chargés de s’en nourrir et le faire définitivement disparaître avant que les flots ne rejettent cet hétéroclite équipage sur la grève. C’est pourtant ce qui va arriver. Après vingt jours de mer, suivant les caprices du courant ligure, la frêle embarcation va entrer doucement, le matin du 17 mai 68, dans un golfe accueillant. Là, une vieille femme nommée Célerine, accompagnée de quelques hommes, va découvrir cette barque dont elle avait eu la veille la vision en songe. Le corps martyrisé va être drapé dans un linceul, enterré et vénéré au point de devenir rapidement le protecteur de la petite communauté. C’est ainsi que Caïus Sylvus Torpes, sanctifié par son martyre et francisé par le peuple va définitivement entrer dans la légende sous sa nouvelle identité : Saint-Tropez. Depuis, les siècles ont passé et cette légende a survécu. Des écrits ont ressurgi, d’autres sont venus les compléter.
Et c’est pourtant là que commence le mystère.

Où se trouvent les restes du saint ?
A la fin du VIIIe siècle, l’actuelle région du Var va subir une invasion sarrasine sans précédent. L’histoire dit que pour soustraire les reliques du saint à la profanation des infidèles, le prieur Avit les aurait transférées en lieu sûr, aujourd’hui toujours inconnu. Et c’est là que les choses se compliquent. Pierre de Natal, dans son  » De sanctis in mense maïo occurentibus  » (tome V, chap 8) situe l’arrivée de la barque en Espagne, dans un port dit Sinos (et d’autres Sinus). En revanche Honoré Bouche, dans sa  » Chorographie et Histoire de Provence  » de 1664, pense que de Natal a pu confondre Sinos ou Sinus en Espagne avec le Sinus Sambracinatus, l’actuel golfe de Saint-Tropez. La remarque parait d’autant plus logique lorsque l’on sait que ce Sinos se situe sur la côte atlantique, au sud du Portugal, un itinéraire bien long et plus qu’incertain pour une si frêle embarcation.
Pourtant, on apprend dans un ouvrage intitulé  » Histoire de Saint-Tropez, S. Torpe, martiro Pisano  » que les frères de la compagnie de Jésus traduisirent en Portugais le martyrologue romain et qu’ils placèrent Saint-Tropez parmi les saints du Portugal. Ils ajoutaient que ces reliques avaient été transportées à Sines, plage du diocèse d’Evora. En fait, les Provençaux, après l’invasion des Sarrasins, ne purent démontrer qu’ils étaient en possession des reliques. Le pape Sixte V ordonna donc de faire des recherches à Sines. Au cours des fouilles, le corps d’un martyr fut retrouvé. Tout le monde pensa qu’il s’agissait du martyr pisan ; on le plaça en grande pompe sur le principal autel de l’église et dès lors s’opérèrent de nombreux miracles et guérisons. Plus tard, les Bollandistes déclarèrent qu’il ne pouvait pas s’agir de Saint-Tropez, mais la tradition était inscrite et on continua à lui imputer ces faveurs divines.

C’est pour cette raison qu’il existe aujourd’hui encore au Portugal un lieu appelé  » Praia de Sao Torpes  » (plage de Saint-Tropez).
Si les ossements sacrés continuent à garder leur mystère, on sait que la tête du saint est précieusement conservée à Pise et qu’un morceau du crane est vénéré également à Gênes. Italien, Portugais, Français ? Le mystère demeure mais s’il reste une certitude aujourd’hui, c’est que le nom de ce saint martyr est connu dans le monde entier, et c’est peut-être là que réside le miracle.

Sources :
– François Coppola, Saint Tropez : Histoire de Saint-Tropez. S. Torpe. Martiro Pisano
– Joseph Rosati : Saint-Tropez à travers les siècles. Etudes historiques. Les amis de la citadelle1

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