L’odyssée des colonnes romaines exposées à Fréjus après leur découverte dans le golfe de Saint-Tropez
Mai 2018 • par Gérard ROCCHIA, historien local
Il y a environ deux mille ans (on ne connait pas exactement la date), un Ponto, navire cargo romain de plus de trente mètres de long et pourvu de deux gigantesques mâts à voiles carrées, vint s’échouer dans le golfe de Saint-Tropez. Quelle en fût la raison ? Probablement une forte tempête qui déséquilibra son chargement et provoqua son naufrage. La chose peut paraître plausible lorsque l’on découvrit, en 1950, la particularité de sa cargaison : Quatorze fûts et trois socles de colonnes en marbre de Carrare, le tout pesant environ deux cents tonnes.
Immergé par six mètres de fond et à cent mètres de l’actuel cimetière marin de Saint-Tropez, ce gisement était connu de tous les pêcheurs qui vantaient les mérites de ce lieu considéré comme un excellent vivier. Faute de savoir, la rumeur publique propagea l’idée qu’il s’agissait de meules de moulin, ce qui donna le nom au lieu. Le mystère hantait toutefois certains membres de la » société historique et archéologique de Saint-Tropez « , présidée par le commandant Joseph ROSATI et dont le secrétaire était Albert COCCOZ. Avec les moyens du bord, ils tentèrent plusieurs plongées de reconnaissance. Émerveillés par leur découverte, ils firent appel au club alpin sous-marin de Cannes qui s’attela à cette tâche avec un matériel plus adéquat et une grande rigueur. Quelle ne fût pas leur surprise et leur joie de découvrir des fûts et de grosses pierres parallélépipédiques qui laissaient penser à un véritable trésor archéologique.
Une grosse grue de levage au secours des archéologues
L’excitation retombée, il fallait maintenant trouver une solution pour sortir ces vestiges de leurs deux mille ans de sommeil. La chance était avec eux, car le port de Saint-Tropez, qui avait été dynamité par les Allemands cinq ans plus tôt1, était en cours de remise en état et, par bonheur, une grosse grue montée sur une barge était chargée de mettre en place les lourdes pierres formant le quai. Les archéologues profitèrent donc de ce matériel pour sortir l’ensemble du gisement et le stocker en urgence au niveau du phare vert2. Tout à leur joie légitime, ils ne comprirent pas tout de suite que, contrairement aux apparences, le plus dur restait à faire.
Occupé à d’autres problèmes, le conseil municipal de l’époque laissa ce tas de pierres en vrac pendant de nombreuses années. En fait, elles n’avaient fait que changer de cimetière. Il faut dire que leur aspect laissait circonspect. Ce matériau, qui avait été identifié comme un pur marbre de Carrare, ressemblait plutôt, à cause des attaques des coquillages lithophages et des oursins, à des éponges stratifiées. Pourtant cette découverte intéressa rapidement les spécialistes, tel Monsieur Fernand BENOIT, membre de l’institut et conservateur du musée d’archéologie de Marseille.
Que faire de ce trésor ?
Les années passant (nous sommes en 1964), le conseil municipal tergiversait toujours comme en témoigne le professeur : » …Les Tropéziens sont lents… en quinze ans, après avoir fait classer ces vestiges romains par les Beaux-arts et accumulé sur le sujet un bon kilo de paperasse, je n’ai obtenu comme résultat concret qu’une promesse de délibération pour la fin du mois d’août. Ce n’est qu’après que je déciderai du sort final de ces vestiges… « . Pourtant, si l’on en juge par une circulaire du ministère de la Culture, il n’y avait que l’embarras du choix : » Aujourd’hui tout le monde réclame ces blocs. La ville de Fréjus pour décorer le jardin d’accès aux arènes. Saint-Raphaël qui a créé un musée de la mer qui groupe les découvertes sous-marines de la région de Saint-Raphaël et même l’école des Beaux-arts de Marseille pour décorer le parc de la future école qui sera installée à Lumini. « .
Ce rapport avait oublié une poignée d’irréductibles Tropéziens qui, comme François COPPOLA, benjamin du conseil, souhaitaient garder ces colonnes » … En hommage au passé maritime de ce port, nous devons faire avec ces blocs un portique marin sur le boulevard de la mer. »
De Carrare à Narbonne ?
Mais d’où venaient ces colonnes et surtout à quel monument étaient-elles destinées ? Personne n’avait jusqu’alors tranché la question avant qu’Albert COCCOZ émette son hypothèse : » (…) certes, il (ce trésor archéologique) ne nous était pas destiné à l’origine et c’est le hasard qui nous en fit cadeau en coulant dans le golfe le bateau qui les transportait. Où ? Sans doute de Carrare à Narbonne car, fait curieux, il manque au temple de Diane retrouvé près de Narbonne exactement ces pièces et de même mensuration. » Une affirmation qui ne fut jamais contredite ni confirmée. Entre-temps, il fallait prendre enfin une décision. Devant le chiffrage des travaux et sans véritable consensus, M. Lescudier, alors premier magistrat et en accord avec Mr André Léotard, maire de Fréjus, fit emporter tout l’ensemble sans tambour ni trompette par l’armada de camions de l’entreprise SPADA de Nice, qui terminait les travaux portuaire et rejoignaient leur base Niçoise, avec arrêt à l’entrée de Fréjus le long de la nationale 7. C’est là qu’aujourd’hui on peut encore les admirer.
Les colonnes telles que nous pouvons les admirer aujourd’hui à l’entrée et exposé à l’entrée de Fréjus le long de la nationale 7.
À Fréjus le trésor, à Saint-Tropez les restes.
Pourtant, un petit morceau du trésor avait été oublié dans son gisement millénaire. Alain Spada, devenu maire en 1989, le fit ressurgir de son passé dans l’espoir de le mettre en valeur à l’entrée du futur musée d’archéologie sous-marine prévu à la citadelle de la ville. En attendant cette heure de gloire, il fut installé à la sortie de la ville au bord de la route au quartier du Pilon, où tous les visiteurs de ce célèbre village peuvent encore l’admirer aujourd’hui, si toutefois il est possible d’en comprendre le bien-fondé.
Saint-Tropez voulut, pour l’honneur, récupérer son trésor, mais dut y renoncer devant la fermeté des fréjusiens à le conserver. Mais toutes ces controverses sont désormais inutiles car le trésor est propriété de l’Etat Français.
(1) Le matin du 15 août 1944.
(2) Elles étaient stockées en bord de mer à l’entrée principale du village et furent déplacées lors de la mise en travaux de l’actuel parking.
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