Pages retrouvées : La Garde-Freinet vue par Eugène Hollande

Novembre 2018 • par Albert GIRAUD, membre du conseil d'administration du Conservatoire

Chronique historiquePresse et livre d'autrefois

Eugène Hollande (1866-1931) était un journaliste travaillant pour La Justice, le journal de Georges Clémenceau et organe du parti radical. A ce titre, il lui arrivait de suivre son directeur dans ses tournées électorales, et de le remplacer parfois dans des villages où son programme ne lui permettait pas de se rendre. C’est ce qu’il fit à la Garde-Freinet en 1896 où il parla aux membres du Cercle des travailleurs et fut reçu par des notables républicains du lieu. Malgré son estimation douteuse de l’altitude du village et la flagornerie outrée pour son  » patron « , cette chronique ne manque pas d’intérêt.

Un nid d’aigles

 » Puisque vous allez en Provence, me disait-on, gardez-vous de ne la connaître qu’à demi, ce qui serait, et dont vous auriez le regret, si vous vous borniez à en parcourir la plaine et les points de la côte pratiqués par les baigneurs. (…)
Vous n’en auriez vu ni tel farouche rivage, nu dans ses roches arides fréquentées des seuls oiseaux de mer, ni surtout ses monts qui, s’ils ne frappent pas l’esprit de la sorte d’horreur sacrée des grandes Alpes, n’en ont pas moins l’austère beauté des hauts lieux.
Le conseil ainsi donné par un de ces hommes qu’il faut croire toujours, combien je suis heureux de l’avoir écouté ! Un matin, m’étant levé presque en même temps que le soleil, je n’hésitai pas, intrépidité dont je demeure glorieux, d’entreprendre à pied l’excursion de Saint-Tropez à la Garde-Freinet. Ce n’est pas un exploit. La route est facile, insensiblement montante, d’un sol uni merveilleusement. Mais enfin, la distance est de vingt-trois kilomètres et la Garde-Freinet s’est allée planter à mille mètres d’altitude si ce n’est plus ! Au vrai, on oublie le chemin, à cause du splendide spectacle qu’il déroule à partir de Grimaud, la petite ville moins française d’aspect qu’italienne, par le caractère de ses maisons aux toits plats, aux terrasses ornées des plus beaux exemplaires de la flore méridionale. (…)
Après Grimaud, point de trace d’habitation ; vous vous croiriez dans une solitude abandonnée à la nature qui en aurait profité pour la peupler d’arbres aussi loin que porte le regard, du faîte des monts jusqu’au bout de la plaine. Mais, parmi ces arbres, les chênes-lièges abondent, et leur bois écorché et sanglant avertit que si l’homme laisse le champ libre à la végétation, c’est ici comme ailleurs, à bon escient. Un peu plus haut, les châtaigniers le disputent aux chênes ; ils font, avec les mûriers, une autre richesse, moindre, mais non médiocre encore, de la région. Aussi ne s’étonne-t-on pas de l’air de prospérité de cette étonnante Garde-Freinet sur laquelle vous débouchez par surprise, si vous avez pris le raide, caillouteux et pittoresque chemin, ombreux et bruissant d’eaux courantes, qui coupe court aux longues sinuosités de la route, mieux frayée, bonne aux carrioles et à la diligence, mais tôt laissée par le piéton impatient, quand on lui a signalé la traverse. (…)
Est-ce l’effet de l’hospitalité des habitants et particulièrement du micrographe et sériciculteur du lieu, l’excellent M. Albert GIRAUD, membre du conseil d’administration du Conservatoire, qui m’a si fort touché par sa cordialité dont on dirait qu’elle s’ignore elle-même, tant elle est simple et naturelle ? Est-ce la sympathie que nous montrèrent ces braves gens, ces travailleurs aux belles figures intelligentes, qui m’ont accueilli si volontiers dans leur cercle, en ami, pour cela seul que j’allais leur parler, ils le savaient, d’un homme qu’ils aiment et que j’aime comme eux ?
Est-ce même l’impression d’art qui me tint arrêté quelques minutes devant la maison d’un pharmacien d’où partait une jeune voix de baryton, d’une rare qualité de timbre et singulièrement riche et forte, et claire ? Est-ce pour tout cela réuni ? Je ne sais, mais j’ai emporté de la Garde-Freinet le souvenir de quelques heures passées dans un de ces asiles de bonheur dont on rêve parmi les chagrins, les luttes et les déceptions de la vie. Il est vrai que j’y étais allé muni d’un mot de Clémenceau.
Heureux, quels que soient les effets de ses actions et la fortune de ses écrits, l’homme à ce point aimé dans un endroit du monde que son nom y soit un talisman. « 


Eugène HOLLANDE
La Justice, 3 octobre 1896.

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